Mohamed Sadli, directeur adjoint du laboratoire commun de métrologie du Cnam

Du mètre au kelvin : comment le Cnam continue de faire l’histoire de la mesure

8 octobre 2025

© Vignette : Greg Rosenke (Unsplash) ; photo page centrale : Anne Nygard (Unsplash).

À l’occasion 15e Symposium TEMPMEKO* sur les mesures de température et thermiques dans l'industrie et la science, organisé par le Cnam à Reims du 20 au 24 octobre 2025, revenons sur le lien étroit entre le Conservatoire et la métrologie. Cette science, ensemble de méthodes et de techniques utilisées pour obtenir la plus grande exactitude dans les mesures et une réalisation pérenne des étalons de mesures. Depuis la Révolution, le Cnam s’est imposé comme un acteur incontournable du domaine.

Unité de mesureLe système international d’unités, le SI,  compte sept unités de base : le mètre, le kilogramme, la seconde, l’ampère, le kelvin, la mole et la candela. On doit trois de ces unités de mesure à des scientifiques français : le mètre et le kilogramme adoptés pendant la Révolution française, puis l’ampère un peu plus tard, qui mesure l’intensité du courant électrique.

C'est un décret de 1795 (calendrier révolutionnaire) qui instaure en France le système métrique et la division décimale des nombres, un an après la création du Cnam. Il faut cependant près de cinquante ans pour qu’il s'impose dans le tissu agricole, artisanal et préindustriel du pays, et un délai tout aussi conséquent pour que la puissance publique confie au Cnam des responsabilités nationales dans le domaine de la métrologie. 

Riche de près de deux siècles d'expérience et de travail scientifique, l'établissement assure aujourd'hui encore l'exercice de ces responsabilités nationales. Ces dernières restent essentielles pour garantir la fiabilité des sciences, la compétitivité de l’industrie, la sécurité des citoyens et la confiance dans les échanges commerciaux. La science de la mesure constitue en effet l’infrastructure invisible sur laquelle reposent l’innovation, la recherche et le développement économique d’un pays.

Après la Révolution

C'est donc seulement en 1848 que le long processus réglementaire initié à l'époque révolutionnaire dans le domaine de la métrologie aboutit tout naturellement au transfert officiel au Cnam du dépôt central des étalons et prototypes. À ce titre, le Conservatoire va piloter, jusqu'en 1868, un vaste programme de vérification des étalons métriques départementaux. Puis, sous l'impulsion de Morin, professeur de mécanique, et surtout de Tresca, un laboratoire d'essais de machines s'organise peu à peu. 

Le rôle technique joué par le Cnam dans l'élaboration de la convention du mètre, le 20 mai 1875, traité international qui regroupe aujourd'hui presque la totalité des États de la planète, est considérable. Dans les années qui précèdent l'établissement opérationnel du Bureau international des poids et mesures (BIPM), le conservatoire assure de nombreux raccordements d'étalons nationaux au profit d'États, et ce dans le monde entier. 
Après une longue période d'incertitude jusqu’à la fin des années soixante, une politique nationale de métrologie cohérente fait naître en 1969 le Bureau national de métrologie. Simultanément est créé au Cnam un laboratoire dénommé « Institut national de métrologie ». Le Cnam et le laboratoire national d'essais collaborent aujourd'hui avec les organismes français historiquement chargés des moyens métrologiques pour d’autres grandeurs : Observatoire de Paris, Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives ; Laboratoire national de métrologie et d’essais. Bien entendu, la métrologie n'est pas absente des préoccupations d'autres composantes du Cnam : musée des Arts et Métiers, bibliothèque, centre de documentation sur l'histoire des techniques.

* Couplé au 7e Symposium international sur l'humidité et la moisissure

Entretien avec Mohamed Sadli, directeur adjoint du laboratoire commun de métrologie du Cnam et coorganisateur du symposium TEMPMEKO-ISHM 2025 à Reims

Quelle est l’importance de ce congrès qui a lieu tous les trois ans ?Mohamed Sadli, directeur adjoint du laboratoire commun de métrologie du Cnam

Le Symposium TEMPMEKO est un lieu de rencontres et d’échanges lancé à la période de la guerre froide pour continuer le dialogue entre l’Est et l’Ouest sur les thématiques de recherche, ou plus simplement pour garder une cohérence entre les pratiques et les références entre les deux blocs. Après avoir voyagé principalement en Europe, puis plus récemment au Canada et en Chine, la 15e édition du symposium est organisée pour la première fois en France par le Cnam avec le soutien des collègues thermiciens du Laboratoire commun de métrologie (Cnam) et du Centre technique des industries aérauliques et thermiques (Cetiat). Ce symposium est important, car c’est le seul qui permette aujourd’hui de réunir les métrologues du monde entier aussi régulièrement (tous les trois ans) autour de thématiques de mesure de température. Cette année, le symposium est associé à un autre symposium sur l’humidité (International Symposium on Humidity and Moisture), ce qui permet d’élargir l’audience et de varier les thématiques. 
Parallèlement à ce double symposium se tient une exposition d’instrumentation thermique avec 24 exposants. Sans oublier des réunions de groupes de travail internationaux, profitant ainsi de la présence des membres sur place. À un mois du démarrage de cet événement, 350 personnes venant de 37 pays sont inscrites, et plus de 350 présentations orales et affichées sont programmées pendant la rencontre. Cela laisse espérer un rendez-vous scientifique de haut niveau.

Quelles sont les grandes orientations qui peuvent en découler ?

Ce genre d’événement est toujours une occasion immanquable d’interactions inédites entre les chercheurs du monde entier. On vient parler de son travail et on repart dans son laboratoire avec de nouvelles idées et un élan, un appétit ravivé pour l’expérimentation et la découverte. Ce que j’espère, c’est que les participants gardent un bon souvenir de cet événement et rentrent dans leurs laboratoires avec la conviction d’avoir vécu un moment d’échange scientifique et humain singulier. S’il y a une orientation que nous espérons en voir découler, c’est bien celle de déclencher de nouvelles recherches, de nouveaux projets internationaux, et l’envie de travailler ensemble.
Notons tout de même que le programme du symposium fait la part belle aux projets collaboratifs européens financés dans le cadre des programmes européens ciblés sur la métrologie, et qui sont structurés dans le cadre de l’organisation de la métrologie européenne EURAMET.  Ces projets de recherche concertée, qui ont cours depuis une vingtaine d’années en Europe, permettent aujourd’hui à l’Europe d’agir en véritable locomotive de la métrologie mondiale.

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La mesure, c’est quelque chose qui peut paraître abstrait : que diriez-vous au profane pour qu’il comprenne bien de quoi il s’agit ?

Au contraire, c’est très concret. Il est assez simple de comprendre que nous avons besoin d’unifier nos approches pour avoir des références métrologiques équivalentes au niveau mondial. 
Il y a exactement 150 ans, le 20 mai 1875, a été signée « la convention du mètre » qui a permis d’imposer le mètre comme unité de longueur aux premiers signataires (17 États, dont la France). Cette demande d’uniformisation était une des demandes populaires exprimées lors de la Révolution française. Les citoyens français avaient compris que, pour parvenir à des échanges commerciaux équitables ainsi qu’une juste répartition des biens et richesses, il fallait des unités identiques d’un bout à l’autre du pays et dans le monde entier. La devise de cette démarche fédératrice était claire : « À tous les temps, à tous les peuples ».
Le Cnam, avec ses ingénieurs et ses savants, avait alors apporté toute son expertise à la réalisation des artéfacts du kilogramme et du mètre. On se rappellera que le profil en X de la barre en platine iridié qui représentait l’étalon du mètre de 1889 à 1960 a été l’œuvre géniale de Henri Tresca, professeur du Cnam. 
Aujourd’hui, dans un contexte de mondialisation bien installée, il est indispensable que les mesures réalisées dans la science et l’industrie soient équivalentes d’un pays à un autre. L’écrou fabriqué en Asie doit pouvoir être appairé au boulon fabriqué en Europe, c’est une évidence. 
Nous travaillons donc tous dans le même système international d’unités, car il est essentiel que les réalisations de ces unités soient équivalentes d’un pays à l’autre. C’est pour cela que la métrologie a besoin de comparaisons internationales régulières pour s’assurer de cette équivalence, et de recherche pour améliorer toujours la réalisation des unités et l’exactitude des mesures. La métrologie est indispensable à toute industrie et même à notre vie courante, pour notre santé, pour nos approvisionnements.

Le Cnam dispose de son propre laboratoire de mesures : quelles sont les recherches que vous y menez ?

Oui, le laboratoire commun de métrologie a succédé en 2008 à l’Institut national de métrologie, qui a été créé en 1969 au Cnam. Le LCM travaille aujourd’hui sous la forme d’équipes mixtes regroupant des personnels du Cnam et du LNE (laboratoire national de métrologie et d’essais) dans plusieurs domaines de la mesure : les longueurs, les rayonnements optiques, la température, les propriété thermophysiques, la nano-métrologie ; etc. 
Les travaux de recherche visent en priorité à améliorer les références dans ces domaines et à maintenir les moyens et les méthodes à leur meilleur niveau pour servir les besoins de l’industrie et de la science. Nous consacrons également nos efforts à développer de nouveaux instruments et à explorer de nouvelles voies comme l’utilisation de technologies quantiques dans le cadre de recherches plus fondamentales. Notre laboratoire a joué un rôle essentiel par exemple dans la redéfinition du kelvin et du kilogramme en 2018. 
Depuis une vingtaine d’années, nos recherches se font dans un contexte collaboratif européen dans le cadre d’appels thématiques ciblés tels que la santé, l’industrie, l’environnement. On apprécie de répondre de manière collective et appliquée aux besoins exprimés au niveau européen. 
C’est ainsi que notre laboratoire a pu asseoir sa réputation de laboratoire sérieux, stable et ambitieux. Nos résultats ont été remarqués et salués par le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) lors des dernières évaluations. Nous devons continuer dans cette voie et former les métrologues de demain, car en métrologie la vraie richesse d’un laboratoire n’est pas uniquement matérielle, elle est d’abord humaine.

Enfin, quelles sont les formations que le Cnam propose dans ce domaine ?

Nous formons des ingénieurs en métrologie et en instrumentation. Plusieurs membres du laboratoire interviennent comme enseignants dans ces formations, et permettent aux étudiants d’entrevoir la richesse de ce domaine. 
L’encadrement doctoral est également une voie idéale pour le recrutement de futurs chercheurs.