Comprendre quelles sont les conséquences du Coronavirus et des mesures prises pour lutter contre l'épidémie sur les personnes et les familles les plus pauvres Genevieve de Coster

La santé

Une source d'angoisse

Certains sont désemparés du fait de ne pas avoir de médecin traitant et de nombreuses personnes du Quart Monde sont en mauvaise santé et se sentent vulnérables.

L’arrêt des traitements pour les soins longue durée comme la rééducation inquiètent; tout comme sont inquiets ceux qui ont des maladies chroniques comme un problème au coeur, du diabète, un cancer, etc. La gestion des addictions (tabac, drogue, psychiatrie...) est elle aussi rendue plus compliquée car plusieurs accueils sont fermés. 

S'ajoute la question des populations en difficultés psychiques, elle aussi inquiétante, l’angoisse de la situation de confinement s’ajoutant à une situation déjà complexe en temps ordinaire. 

Le fait de ne plus pouvoir appliquer les règles/injonctions de prévention où les conseils d’hygiène de vie, comme marcher, est déstabilisant.

Enfin notons qu'en matière de santé, les fake news partagées sur les réseaux sociaux sont source d’angoisse. 

La prise en charge médicale 

Si l'on observe une inquiétude quant à l’accès aux soins quand on n’a pas de couverture maladie, les personnes bénéficiant de la complémentaire santé solidarité (C2S) sont elles, bien prises en charge. 

Mais, certaines situations relayées sont alarmantes. Un membre du mouvement ATD Quart Monde alerte sur les refus de soin que les plus pauvres peuvent expérimenter faute de posséder un dispositif suffisant de prise en charge des soins : « Un médecin a refusé de recevoir un bénéficiaire de la CMU-C (couverture maladie universelle complémentaire) du fait qu’il n’habitait pas le même département … ». Certaines personnes se demandent aussi s’il y aura-t-il un tri à l’entrée du système d’urgence qui sera mis en place pour ne faire rentrer que les personnes avec une couverture santé. Et les caisses primaires d'assurance maladie ne répondent plus au téléphone. On observe également une crainte que les médecins généralistes n’acceptent plus que les patients qui ont des systèmes de prise en charge des soins élaborés et efficients. Notons le cas préoccupant de demandeurs d’asile qui ont été déboutés mais n’ont pas eu le temps de finaliser leurs démarches pour demander l’AME, l'aide médicale de l'État. Toutes ces personnes craignent de se retrouver sans aucune couverture santé. 

Se nourrir

Les distributions alimentaires fonctionnent elles aussi "au ralenti". On observe la fermeture, dans certaines régions, des Restos du coeur et des épiceries solidaires (souvent tenues par des retraités vulnérables). S'ajoute une inquiétude face aux rumeurs qui disent que les restaurateurs et cantines scolaires vont jeter la nourriture. Cette situations est inconstantes en fonction des régions. Mais après 15 jours, les distributions sont encore totalement gelées... 

La vie quotidienne et l'accès aux droits 

La fermeture des services administratifs et/ou les démarches qui ne sont plus réalisables qu’en ligne font craindre des ruptures de droits chez des personnes qui ont un accès limité aux outils numériques ou qui les maîtrisent mal. De nombreux rendez-vous sont annulés. Prenons l'exemple d'un jeune qui n’a pas reçu sa garantie jeune et dont la référente a expliqué qu’ils n’arrivaient pas à joindre les services de l’État qui doivent verser cette garantie. Ou cet autre exemple d'une jeune qui avait rendez-vous à la caisse d'allocations familiales (CAF) alors que celle-ci était fermée et n'a pu avoir qu'un contact téléphonique. Certes, certaines CAF appellent les personnes pour traiter les dossiers mais si le nom de la personne n’apparait pas, elles ne laissent pas de messages et elles n’appellent que deux fois. On observe la même incertitude pour ceux qui viennent de faire une demande de RSA (revenu de solidarité active) quant au fait que le dossier ne soit pas traité rapidement. Et si les gens auront toujours accès à la borne de la CAF, ils ne savent pas s‘il y aura quelqu‘un pour les aider s‘ils ont besoin. 

La situation actuelle, ce sont aussi des répondeurs des administrations qui ne sont pas à jour, qui mettent en attente (coût de communication) et ne disent pas qu’ils sont fermés. 

L'accès aux aides et droits est très compliqué car le recours aux assistants sociaux (par téléphone ou mail) est restreint, de nombreux centres sociaux sont fermés (c’est là, entre autres qu’on pourrait imprimer les devoirs des enfants), les missions locales pour les jeunes sont elles aussi fermées (arrêt des recherches de stages, par exemple) et enfin, beaucoup de bureaux de poste eux aussi fermés empêchent le paiement des factures par règlement postal, en absence de carte de paiement et/ou pour ceux qui sont payés en espèces. Il est impossible de retirer de l’argent liquide sans carte bancaire. Dans ce contexte, comment toucher son RSA, par exemple?

La question du lien par téléphone se pose également du point de vue financier. La plupart des personnes connues par le mouvement ATD Quart Monde ont des téléphones à carte avec un nombre d’unités limités, soit de petits forfaits. 

L'attestation de sortie

Où la trouver quand on n’a pas d’ordinateur et/ou internet ? Quand on n’a pas de quoi imprimer ? Ou quand on ne maîtrise pas bien la lecture ou l’écriture? Ces questions induisent le risque que les personnes ne sortent plus de chez elles, même pour se faire soigner. Reste la solution de certains commerçants qui font payer les attestations... On notera également que dès le départ, comprendre les instructions quand on ne parle pas le français pose problème. 

Cette crise engendre de nouveaux problèmes pour les personnes sous tutelle dont les tutelles ni ne se déplacent, ni ne reçoivent, par exemple.

La question du déplacement est elle aussi au centre de la vie quotidienne : en milieu rural, personne ne s’arrête plus prendre un autostoppeur, par exemple. Beaucoup craignent que les transports cessent de fonctionner et qu'ils ne puissent plus aller faire les courses. Dans certains territoires les tickets ne sont plus vendus par les chauffeurs et il faut alors les acheter aux bornes, ce qui pose problème pour les personnes ne possédant pas de cartes bleues. 

Les moyens d’existence 

Cette crise sanitaire entraîne pour tous des dépenses non prévues mais parfois difficilement gérables pour les personnes pauvres. Le paiement des repas de midi pour pallier l’absence de cantine scolaire, par exemple. Elle impose des choix impossible comme faire des courses d’avance et payer le loyer ou les charges. Et risque alors d'entraîner des situations fâcheuses comme de se trouver en situation d’impayé. Il faut aussi penser à ceux qui n’ont pas pu faire de réserves parce que le confinement n'a pas commencé à la fin du mois, mais le 14, quand « on a moins de sous »!

Les craintes des personnes pauvres quant à leurs moyens d'existence sont : l’interdit bancaire et la peur des agios, devoir faire face aux besoins immédiats pour payer le loyer et les charges, des interrogations très vives quant aux conséquences que la crise aura sur les revenus ou encore l’obligation d’aller dans les boutiques de proximité où les produits coûtent plus chers. 

Notons également, comme le signale un membre du mouvement, une augmentation anormale de certains produits de première nécessité (notamment au niveau alimentaire) dommageables aux plus pauvres.

Des inégalités face au confinement 

Premièrement, le confinement est assez inégal en fonction des lieux. Ensuite, l'on craint une attitude plutôt de « répression » que de « pédagogie » de la part des policiers confrontés à des jeunes qui ne respectent pas le confinement. Les amendes risquent d’être très injustes. Et risquent même de monter les gens les uns contre les autres. 
On observe également que certains élus commencent à blâmer, voire accuser publiquement, les habitants de certains quartiers car ils ne respectent pas les règles de sécurité. La tension monte entre les forces de l’ordre, soutenues par une partie des citoyens de la ville, et les habitants (souvent des jeunes) de certains quartiers. Sans même parler de l'amertume ressentie face aux dénonciations par ceux qui sont confinés dans de bonnes conditions!

En général, les consignes sanitaires ne sont pas adaptées à la temporalité des plus pauvres qui ont besoin de prendre le temps pour comprendre et s’informer. 

Le cas des personnes sans domiciles

Vulnérables parmi les vulnérables, ils doivent désormais faire face :

  • à la fermeture d’accueils de jours à cause du manque de bénévoles, du manque de personnels disponibles, du manque de masques...
  • à la fermeture des bibliothèques qui sont des lieux repères et des refuges importants pour ces personnes, y compris pour recharger les téléphones
  • au manque de lieux pour charger les portables en général
  • à la fermeture des gares
  • à la fermeture de sanitaires publics, des parcs et des fontaines publiques 
  • à la raréfaction des distributions de nourriture, des endroits pour se doucher
  • à des endroits stratégiques pour leur survie qui sont rares et à la difficulté de pouvoir aller dans les supermarchés pour acheter de l'eau
  • à la crainte d’être contaminés en se rendant dans les lieux de distribution qui fonctionnent encore

Dans certaines villes les personnes sans domicile sont devenus invisibles, ont déserté les centres villes; c'est le cas, par exemple, de la fermeture de parkings souterrains dans lesquels ils se réfugiaient pour la nuit. Dans d’autres, au contraire, ils sont plus visibles, car sans masques, assis, à attendre, seuls. 

À cela, s'ajoute encore une aggravation de la stigmatisation : suspicion des autres personnes sur ces personnes. Certains rapportent : « On s’éloigne de nous comme si on était des poubelles ». Et ils ne sont pas épargnés par la verbalisation.

Les personnes sans domicile peuvent parfois craindre qu’on leur propose une solution de confinement collectif. Le 115 est chargé d’appeler les gens qui se trouvent sur leurs listes pour leur proposer des solutions d’hébergements. Cependant beaucoup de personnes sans domicile ne sont pas sur les listes du 115 car ils ont cessé d’aller dans les hébergements d’urgence. Des militants interpellent sur les mesures de « parcage » dans les centres d’hébergement qui rappellent des heures sombres de l’Histoire. Les SDF, eux, relèvent alors ce paradoxe : d’habitude on nous expulse, là on nous oblige à rester. Prenons le cas, par exemple, d'une personne sans logement qui fait des livraisons à vélo et a peur d’aller dans un centre puis ne pouvoir en sortir ensuite pour travailler. 

Le logement 

Certains saluent la trêve hivernale, quand d’autres se demandent pourquoi, s’il est possible de la reculer de deux mois, on ne peut pas attendre plus longtemps avant de mettre les gens dehors...

Se pose bien sûr la question de l’exiguïté ou de la surpopulation des logements alors que les enfants vont devoir rester chez eux.

Enfin, notons l'annulation des commissions d’attribution de logements. 

La vie Familiale 

Les ruptures de droits de visites pour les enfants placés ou, de la même façon, pour les personnes âgées dans les EPHAD (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) inquiètent les membres du mouvement ATD Quart Monde et travaillent sur cette question avec les juristes du mouvement .

La crise sanitaire entraîne également le risque de voir une diminution du nombre ou un turn over des personnes pour encadrer les enfants dans les foyers de l’enfance, en raison d’éventuels arrêts maladie. Cela serait particulièrement préjudiciables aux enfants dans cette période où ils auraient au contraire besoin de continuité dans les relations et de réconfort. Sans parler des suivis psychiatriques plus assurés. Des travailleurs sociaux signalent que les enfants qui vivent dans un environnement familial préoccupant sont renvoyés chez eux, les mesures de placement sont suspendues. Certains éducateurs appréciés ne viennent plus, non plus, dans les familles. 

L'on peut craindre, enfin, que le confinement soit un « terreau propice » au renforcement des violences intra-familiales et de drames

L'éducation

Voir les inégalités se creuser, au détriment des plus précaires. 

Certains parents ont peur de faire moins bien qu’un parent qui a fait des études ou que les enfants de professeurs. Mais il est aussi observé que des parents sont d’accord pour soutenir leurs enfants. Et pour certains ça ne leur pose pas de problème. Pour d’autres, cela entraîne la peur de ne pas comprendre ce qu’on demande aux enfants et de ne pouvoir les aider. Ils peuvent aussi se sentir trop déconnectés par rapport à ce que les enfants apprennent. 

Plus pragamatiquement, comment assurer la « continuité pédagogique » en famille quand manquent les moyens numériques de communication, ou la maîtrise de ces moyens, dont les médias parlent comme s’ils étaient entièrement généralisés ? Des enseignants demandent, par exemple, de scanner les devoirs pour les leur envoyer par mail alors que tout le monde n'a pas de scanner. La plupart des enfants n’ont comme support que leur téléphone (petit écran). Donc tout de même la possibilité de faire des photos de leurs devoirs, en moindre qualité et lisibilité. 
Evidemment, l'on note une inquiétude que les cours se fassent en ligne pour ceux qui n’ont pas d’ordinateur. Ou pour ceux qui ont un ordinateur mais pas de connexion internet. Certains sont en zone blanche et n’ont pas le téléphone. Ils ont internet via l’ADSL, mais une saturation est à craindre si tous les jeunes travaillent ensemble. D’autres craignent que cette situation où on ne peut faire face, génère de la violence dans la famille. 
Enfin, les inscriptions à Parcours sup sont fixée au 2 avril prochain alors que les jeunes n’ont plus accès aux ordinateurs des lycées, bibliothèques, etc. où ils étaient au calme et bénéficiaient de l’aide des professeurs. (Il semblerait qu’un report de 8 jours soit prévu mais cela ne serait sans doute pas suffisant). 

Se pose également la question des moyens : le coût du forfait téléphonique en cas de partage de connexion pour ceux qui n’ont pas internet. Certains ont des forfaits téléphoniques limités et qui coûtent cher en cas de dépassement. Ou encore, par exemple, le coût du papier et de l’encre des imprimantes maison.

La question du logement ré-intervient elle aussi : comment assurer à son enfant un climat de travail serein dans un logement trop petit, ou surpeuplé, ou insalubre, ou très précaire ? 

Les moyens de garde : comment faire face au travail scolaire pour les enfants obligés de garder leurs petits frères et soeurs (comme, par exemple, les enfants de personnels précaires d’aide à la personne qui n’ont pas de moyens de garde) ?

Des solutions peuvent exister mais on doit déplorer le refus de certains collèges de donner aux jeunes des versions papier des documents. Mais aussi la fin du soutien scolaire. Par ailleurs, pour les Écoles de la Seconde chance, il n'y a pas de suivi pendant le confinement. Certains syndicats répondent à cela : « on reprendra l’école où on l’a laissée pour ne pas créer d’inégalités ». Enfin, dans certains cas, après 15 jours de confinement, des enfants n’ont eu aucune nouvelle de leur école!

Pour conclure, la question centrale est celle-ci : comment éviter qu’au bout de toutes ces semaines de confinement le fossé ne se soit pas encore plus creusé entre ces enfants et ceux dont les familles auront pu faire « l’école à la maison » ? 

Le travail

Aucune des personnes contactée par les membres d'ATD Quart Monde à ce jour n’est concernée par le télétravail. 

En revanche, les "travailleurs" s'interrogent sur les conditions de contreparties à l’arrêt de travail pour les travailleurs précaires et chômeurs, ceux en CDD (contrats à durée déterminée), les intérimaires, les personnes en formation, les apprentis, les CESU (chèque emploi service universel), … Ils ont du mal à croire qu’en restant chez eux, ils soient payé100 %. Pour ces personnes, n'être payé qu'à 70 %, est une catastrophe et leur fait craindre de « ne pas s'en sortir ».

Parmi les inquiétudes recensées, nous trouverons :

  • la crainte de perdre la prime d’activité
  • une inquiétude pour ceux qui ont un travail et doivent garder les enfants à la maison : la peur que prendre l’arrêt de travail légitime proposé pour garde d’enfants, ne se retournent contre eux et qu’ils perdent leur emploi
  • un manque d’information pour ceux qui font de l’aide à la personne : Doivent-ils y aller ? Quelles mesures prendre ? Combien seront-ils payés s’ils arrêtent ? 
  • la crainte de ceux qui démarrent une formation

Notons les cas particuliers des personnes qui ont un travail informel (comme la ferraille), journalier (sur les marchés, par exemple) ou même qui vivent de la mendicité, font les poubelles ou encore travaillent au noir et qui craignent de perdre leur moyen d'existence. 

Enfin la question du travail rejoint celle de l'éducation dans le cas des personnes faisant appel aux enfants ainés pour garder les petits lorsqu'ils doivent aller travailler.

La justice 

Elle passe par la question de la continuité des services de l’État. Les échéances judiciaires repoussées ne risquent-elles pas d'entraîner un sentiment d’impunité ? Les rendez-vous avec les juges, les PsyEn (psychologues de l'Éducation nationale) et autres professionnels s'annulent tous les uns après les autres et le risque d'être mis en prison (centres éducatifs fermés (CEF), établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), etc.) ou en foyer diminuent aussi, ce dont les jeunes concernés se réjouissent...

Ce tour d'horizon complet et exhaustif dresse un tableau objectif et réaliste de la façon dont les plus pauvres vivent, dans tous les aspects de leur vie, cette crise sans précédent. Ces constats rassemblés par Genevieve de Coster, représentante d'ATD Quart Monde à la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme, sont basés sur les nombreuses informations que les membres du mouvement ATD Quart Monde on fait remonter depuis la mi-mars. Mais au-delà de cette objectivité presque scientifique, que ressentent-ils, ceux qui vivent au quotidien au côté des plus pauvres? Qu'est-ce qui les préoccupe le plus? 

La première chose est la question de l’obligation du confinement de celles et ceux qui viennent en aide aux populations défavorisées (accompagnement, distributions). Pour certains, s'agissant de besoins vitaux, ils devraient bénéficier de dérogations : être non seulement autorisés, mais même réquisitionnées et avoir des moyens de protection. 

Ensuite, après quinze jours de confinement, les personnes jointes régulièrement par téléphone expriment le désir de liens collectifs plutôt qu’individuel et de pouvoir réfléchir avec d’autres sur « l’après-crise » en utilisant des outils et applications de conférences téléphoniques ou de discussion de groupe comme WhatsApp.

Ils alertent également quant au faut que l’État ne doit pas en arriver à se reposer sur les associations. 

Et pour finir, cette question chère à ATD Quart Monde : « on nous dit que les acteurs se coordonnent, se réorganisent, mais qui implique les premiers concernés dans leur réflexion ? »