Questions à Jean-François Deü et Antoine Legay du Laboratoire de mécanique des structures et des systèmes couplés (LMSSC)

Une collaboration de choc avec le Cnes

Tout le monde connaît Ariane 5, les impressionnantes vidéos de son lancement depuis Kourou et la magie des photos de sa coiffe qui s’ouvre, libérant alors les satellites. Mais savez-vous que c’est une découpe pyrotechnique qui a provoqué cette séparation ? Que pour limiter les vibrations qui s’en suivent, les ingénieurs utilisent des matériaux dits amortissants ? Ou encore, que des équations mathématiques permettent de comprendre ces phénomènes ?

À la croisée des recherches fondamentale et appliquée, Jean-François Deü et Antoine Legay travaillent sur la modélisation des phénomènes de vibration et d’amortissement dans les structures composites. C’est ce que nous allons approfondir en discutant avec eux des études et travaux qu’ils mènent en partenariat avec le Centre national d’études spatiales, le Cnes.

LMSSC/CnesDepuis quand collaborez-vous avec le Cnes ?

Cela fait plus de dix ans que le Cnam, par le biais du Laboratoire de mécanique des structures et des systèmes couplés (Lmssc), collabore avec le Cnes et plus précisément avec la direction des lanceurs. Nous avons, au départ, rejoint le « Pôle chocs pyrotechniques », composé d’industriels et d’universitaires (École normale supérieure de Cachan et École Centrale Paris). Les travaux menés dans ce groupement portent sur la modélisation des chocs et vibrations lors de la séparation des étages d’Ariane.

Pouvez-vous nous parler en quelques mots du lanceur Ariane et de son fonctionnement ; notamment des chocs pyrotechniques dont vous étudiez les effets ?

Le lanceur Ariane a pour vocation le transport des satellites (les charges utiles) vers l’espace. Ariane 5 mesure environ 50 mètres de haut, pèse 750 tonnes et peut transporter deux petits satellites de cinq tonnes ou un gros de dix tonnes. Placés en haut du lanceur, ils sont maintenus sur des adaptateurs de charge utile (ACU) et protégés par la coiffe. Le reste du lanceur est principalement composé des moteurs et du carburant permettant la mise en orbite du satellite. Le lanceur Ariane est composé d’étages se désolidarisant progressivement au cours du vol ; on appelle cela la séparation des étages. Cette séparation est rendue possible par des chocs pyrotechniques : un cordon explosif permet une découpe de la structure en quelques millisecondes sur des zones spécifiques.

À quelle partie du lanceur vous intéressez-vous ?

Nous étudions la façon dont les ondes, résultant des chocs pyrotechniques, se propagent dans l’adaptateur charge utile. Cela est d’autant plus compliqué que cette structure, qui est une pièce conique sur laquelle repose le satellite, est un composite sandwich. Le but final est de prédire l’excitation en pied de satellite, de façon à s’assurer que celui-ci ne risque pas d’être endommagé.

LMSSC/CnesQuel est l’enjeu de vos recherches ?

Nous intervenons très en amont : nous créons des méthodes et des outils pouvant être utilisés en phase de pré-dimensionnement par les ingénieurs du Cnes. Concrètement, nous offrons notre expertise sous la forme de rapports, de résultats d’essais et de logiciels. Par exemple, nous avons mis en place récemment des essais vibratoires (une analyse modale expérimentale) pour une maquette de support de satellite. Mais la majeure partie de nos travaux consiste à faire de la modélisation numérique : à partir des équations mathématiques du problème physique, nous créons des logiciels permettant de prédire le comportement dynamique d’une structure mécanique. Ici, les équations mathématiques du problème sont connues, ce qui n’est pas le cas des caractéristiques des matériaux, des excitations et des géométries exactes des pièces, qui eux sont remplis d’incertitudes. Il faut donc réaliser de nombreuses simulations pour estimer le comportement de ces structures. Il serait bien sûr possible d’utiliser des logiciels du commerce, mais nous proposons au Cnes des outils de calcul dédiés, qui permettent d’avoir rapidement des résultats et donc de pouvoir optimiser certains paramètres. Très concrètement, nous avons développé pour le Cnes le logiciel Oscar (Outils de simulation des chocs d’Ariane) dédié à la prédiction des vibrations suite aux chocs pyrotechniques dans les structures de révolution.

LMSSC/CnesQuels sont les travaux en cours ?

Actuellement, nous travaillons sur des techniques d’identification inverse. C’est-à-dire qu’au lieu d’observer le choc lui-même, nous essayons, à partir de mesures expérimentales sur la structure, de savoir ce qu’il s’est passé lors de la découpe pyrotechnique. Il s’agit de comprendre un phénomène par le biais de l’observation de sa conséquence. Ces problèmes inverses étant difficile et couteux à résoudre, ils demandent de développer des méthodes de résolution spécialisées.

Quelles sont les retombées de ces recherches dans vos enseignements ?

L’enseignement se nourrissant des travaux de recherche des enseignants-chercheurs, ce sont notamment les élèves de la formation Ingénieur aéronautique et spatial du Cnam qui profitent de ces liens forts que le Lmssc entretient avec le Cnes.